Plumes



Le pinceau oublié


    « Vous pouvez mettre quelque chose dans le cercueil. »
Je ne me souviens pas de la date, je ne me souviens pas de l’heure.
Je me souviens de ces mots « vous pouvez mettre quelque chose dans le cercueil » et de l’homme qui les prononce : pas beaucoup plus grand que moi, vêtu de noir, simple, brun, faisant son boulot.
Je me souviens de la route, des silhouettes des arbres dans lesquelles naissait les couleurs orangées du soleil levant. Je me souviens de la brume nous accompagnant dans les paysages d’automne. Je me souviens des cailloux blancs sur lesquels nous marchions, du soleil et de sa chaleur écrasante.
  Il est étrange de voir de quelle façon le cerveau fait le tri, chacun gardant en mémoire ce que son esprit a retenu du moment. Pleins de moment me reviennent mais pas une date. Des sensations reviennent souvent comme les résurgences des bons souvenirs, mais pas vraiment de chronologie.
Ainsi par exemple les soirs d’été en entendant les hirondelles je revois mes vacances, ou plutôt je ressens mes vacances comme un sourire qui revient sur mon visage. Je les vois de nouveau tournoyant dans le ciel de la rue Hauvy, j’entends ma grand-mère constater leur retour et le grincement de la balançoire où ma cousine m’attend. Et si ce sont des étourneaux alors c’est mon autre grand-mère que j’entends, rouspétant sur ces hordes d’oiseaux salisseurs de…bitumes.
  Les sens voilà ce qui nous permet de nous souvenirs, voir nous souvenirs complètement.

30 rue Hauvy…une adresse et une montagne de souvenirs. J’entends encore les plaques sur les portes  qui tapent à chaque fois que nous les bougons, je les vois aussi. Elles étaient ovales, blanches avec des fleurs roses  et deux lettres vertes foncées : YR, elles étaient donc un cadeau de commande Yves Rocher. C’était la fierté de ma grand-mère que de commander là où un de ses fils travaillait, elle arrêta aussitôt que ce ne fut plus le cas !
Même le motif noir et blanc des immenses marches me revient, elles conduisaient à ce mystérieux étage. Bien sûr on m’y faisait monter avec ma sœur pendant que le père noël déposait ses cadeaux et quelqu’un m’avait évidemment mis en tête qu’il y avait un loup dans le grenier… mais je ne fus pas dupe longtemps, pourquoi étions-nous les seules à monter pendant la visite du père noël si ce n’était que, comme la petite souris, le gros bonhomme n’existait pas. Quant au loup, le mystère reste entier.
Tellement de choses me reviennent, les jeux avec Audrey, soit des heures dans le jardin à inventer des histoires où plus précisément les sauts sur le lit qui malgré les réprimandes régulières, fini par céder. Evidement j’étais un ange, la cousine l’instigatrice !
     Chaque pièce amène alors son lot de souvenirs. Par exemple cette chambre où je dormais, je la revois si bien, deux portes et une fenêtre. Il y avait une porte vers la cuisine et l’autre vers la chambre des grands parents. Une table en bois sombre près de la fenêtre nous servait de table à dessin, une commode pour ranger les jeux et nos œuvres et une armoire sûrement pour les couvertures. Il y avait aussi une énorme lampe et un papier peint à motif dans les tons beiges, avec de grosses fleurs. Quant au lit qui subissait nos assauts, il était équipé d’une couverture ou deux…c’est là que ça devient plus flou, une verte à poil long et peut –être une marron dans le même style, où était-ce celle de la chambre de mes grands-parents…
Combien d’heures ai-je passé là à dessiner ?  Piochant dans le grand sac plein de crayons mélangés mes petites mains pour réaliser de quoi rendre les grands fiers. Il faut dire qu’il y avait sur le mur un crayonné de ma sœur, portrait de mon arrière-grand-mère, qui rencontrait un franc succès et mettait alors la barre très haute.
Je me souviens également du grincement du sol dans la salle à manger et les assiettes qui s’entrechoquaient dans le buffet à notre passage ! Buffet sur lequel trônait une photo de moi à la plage le regard dans le sable à la recherche de coquillage. Il y avait aussi une table basse sur laquelle était posé un plateau rempli de petits verres. A part des souvenirs de repas, il n’y a pas grand-chose qui me revient, surement parce que nous mangions dans la cuisine lorsque nous étions en petit comité. Le salon c’était l’apéro ! Mon jus de raisin, les gâteaux belin dans la boîte en métal et un pouf en cuir pour moi. Il y avait également une étagère encastrée dans le mur  sur laquelle il y avait une tête de cheval, il me semble qu’elle avait été faite par mon grand-père. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, comme beaucoup d’objet de cette maison elle n’existe désormais plus que dans ma mémoire. Il y avait aussi un cadre avec pleins de photos aimantées et un poste de télé qui servait le soir pour les infos. Je l’entendais de ma chambre, après la vaisselle qu’ils faisaient tous les deux comme un rituel. Il y avait le ronron du lave-vaisselle et en fond la télé. Je pouvais dormir tranquille.
La cuisine était aussi une pièce que j’aimais, le mobilier en formica bleu, le grand placard plein de conserves, le grand évier près de la fenêtre, le cliquetis pour allumer la gazinière, la casserole sur le dessous de plat pour le sachet de thé, les biscottes rondes…Mais c’était aussi ma grand-mère qui cuisine, le gâteau au chocolat, le riz au jus de poulet, les vrais steaks hachés du boucher ou encore pour les jours de fêtes : le gigot d’agneaux aux flageolets ! Bon celui-là n’est pas forcément un bon souvenir pour moi…mais c’était bien, quand j’y repense c’était paisible, loin des traquas des adultes je regardais ma grand-mère faire, j’écoutais mon grand-père et ses histoires et peu à peu je me dessinais dans ces lignes. Ils ont beaux être là dans mes mains qui peignent, qui écrivent, qui cuisinent ou dans mon sourire, il y a un vide indéniable sans eux.
                Tellement de détails me reviennent, le lilas, la menthe, la trottinette rouge, les fissures dans la cour, les grilles vertes et pointues, la cave, les graviers blancs et leur chanson sous nos pieds, le chien d’à côté, le marché de Ste Savine, le cyprès d’un autre voisin, la visa bordeaux, son nounours et ses pastilles vichy, les balades à Montaigu, les marches de la vérandas, les fourmis qui y narguaient ma grand-mère, le caddie des courses… Tout est là, toujours dans ma tête, j’y repense si souvent.
                La pièce qui contribuait au mystère du loup c’était le grenier, j’ai dû y mettre les pieds deux fois. Je me souviens y avoir vu une ancienne malle ou deux, des tableaux appuyés sur le mur …
Il devait y avoir parmi eux l’autoportrait de Camille Degois qui se balade désormais un peu partout en France au gré des déménagements de mes parents.
Mais outre ce grenier il y avait le bureau de mon papi. Souvent l’après-midi notre grand père nous y faisait peindre avec ma cousine. Pourquoi nous le vivions un peu comme une punition ? C’est vrai que c’était un peu une épreuve : il fallait rester silencieuses, écouter et être sérieuses. En fait c’était le côté scolaire qui devaient nous calmer ou l’idée du loup dans la pièce voisine. Finalement c’est le début d’un moi qui est apparu dans ce bureau, sur cette chaise plastifiée devant ce bureau un peu haut et entouré des documents de mon grand-père, j’ai appris à tenir un pinceau, à choisir les couleurs, à les connaitre, à prendre soins de mes pinceaux. Aujourd’hui encore à chaque fois que je les lave je repense à ces moments à ce qu’il me disait, ce qu’il m’apprit. Finalement il parlait peu mais ce n’était pas nécessaire, j’ai compris et tout c’est ancré en moi. Coûte que coûte j’achète le même savon qui était dans la salle de bain et dans la cuisine et chaque fois que je le prends je suis de nouveau rue Hauvy. Mon grand-père m’a appris que j’étais capable de quelque chose. Il voyait dans mes dessins de quoi me féliciter, j’avoue que ce n’était pourtant pas extraordinaire mais pour lui il y avait un truc prometteur dans mes gribouillages colorés ! La couleur ! Ce qu’il aimait ça ! L’ocre surtout.
Quand je peins il est là, dans mes choix de couleurs, dans le soin que je porte à mes pinceaux…
  
   
« Vous pouvez mettre quelque chose dans le cercueil. »
Je ne me souviens pas de la date, je ne me souviens pas de l’heure.
Et je ne m’étais pas souvenu en partant que j’avais mis un pinceau de côté pour lui déposer dans son cercueil…Marcel est parti, il a rejoint sa femme, sa belle-sœur, sa sœur, sa famille. Il en a laissé un bout ici. Mais ils sont là, n’est-ce pas ?




Sophie DEGOIS-MEREAU (11/2017)
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Françoise


Avant que tout ne se remettre à aller trop vite, avant que les jours se précipitent et se bousculent.
Cela fait longtemps que nous avons été réunis, pourquoi n’est-ce dorénavant que pour de bien tristes occasions.
Le soleil aussi est là, sûrement pour lui rendre un dernier hommage. Nous avons l’illusion de contrôler notre temps mais la réalité est tout autre.
Accueillie par les bras de ma mère, je passe d’un membre de la famille à un autre pour saluer. Tous ensemble mais seul dans nos cœurs. Je reçois sur mes joues, au fur et à mesure des rencontres, les larmes de chacun. Je laisse le soleil les sécher, je regarde les pierres blanches sous mes pieds.
J’avance et j’observe les silhouettes de mes oncles, celle de mon père, leur dos voutés dévoilent leur tristesse.
Petite une main de fer m’interdis de sucer mon pouce, si ma mère ne pouvait as me sauver qui le pourrais ? En vacances rue Hauvy seule dans le grand lit, je pleurais l’absence de mes parents quand soudain ma « mamie Youkie » levait l’interdiction. Incroyable ! Elle venait de défier l’ordre du paternel. Elle était bien plus forte que je ne l’avais, jusque-là, pensé.
Devant la boîte en bois, je préfère regarder les fleurs : lys, roses et blancs pour un bouquet éclatant, il lui aurait sans nul doute, beaucoup plus. Témoin de sa fraîcheur, de son sourire. Je la voie ma chère grand-mère affairée dans la cuisine alors que je chahute avec ma cousine, ou rouspétant après nous et nos jeux destructeurs de lit.
Les paroles, les larmes tournoient autour du splendide bouquet.
Combien de choses ne saurais-je jamais ? Est-ce que la connaissais si bien que ça ?
Un autre souvenir me vient, il se passe cette fois-ci dans le jardin. Descendu de la balançoire, encore un peu trop haute pour moi, je croise une grande femme dont l’une des mains se termine par une cigarette. Ma grand-mère fume ! « Bah mamie tu fumes ?! » Etait-ce mes mots ou ceux d’Audrey ? J’avoue que je ne e souviens que de cette main portant à la bouche de ma mamie ce bâton puant.
« Oui cela m’arrive quand j’ai passé une bonne journée.» Mon cœur s’effondre : pourquoi ne fume-t-elle pas plus souvent ? Ma tête me rassure : elle doit le faire quand tout le monde dort. Et voilà mon cœur d’enfant réconforté.
Assenay, tous ensembles pour quelques heures encore. Nous mangeons comme nous l’avons fait maintes et maintes fois : St Léger, Rennes, Chamoy, Dijon, Chauchigny…
Dans cette réunion manque celle qui la menait. Toujours silencieuse, toujours très présente dans sa discrétion et sûrement très heureuse de voir tous ses enfants réunis. Elle en était, très probablement, fière et j’ai le sentiment que pour son cœur sa famille était sa plus belle réussite.
Je regarde mon grand-père, ne voulant même pas imaginer à quel point cela doit-être dur et je pense à cette photo de mon album. A Asenay encore mais quelques paires d’années plus tôt, mon grand-père y est entouré de son épouse et de la sœur de celle-ci. Toutes les deux me sourient encore.
Je ne crois pas en un Dieu sauveur de l’humanité, mais j’ose espérer qu’elles sont bien, qu’elles sont ensembles.
Ma tata Denise, qui n’était en rien ma tante, tenait une grande place dans mes vacances d’enfant. J’étais toujours heureuse lorsqu’elle venait nous rendre visite à Ste Savine. Quel enfant résisterait à la venue d’une boulangère qui de surcroît ramenait toujours un petit quelque chose de sucré ?
D’autres souvenirs de ma grand-mère existent.
Des milliers : sa façon de faire le thé, son gâteau au chocolat saupoudré de neige qui nous attendait à chacune de nos venues, sa foudroyante rapidité aux mots croisés, son parfum, la douceur de ses mains, ses bijoux…
Je pense à celui qu’elle m’a réservé, la première fois que j’ai ouvert ce beau pendentif son parfum est venue me chatouiller, si doux. Puis j’ai découvert deux photos qui comblèrent mon cœur. Pour ne pas que ce parfum s’échappe j’entrepris de ne plus l’ouvrir jusqu’à ce que cela me soit nécessaire.
Ces milles et un souvenir sont « elle » tout simplement. Même s’il manque beaucoup de pièces à mon puzzle pour me permettre de dire que je la connaissais bien, ma grand-mère, j’en suis sûre était une grande dame.
Je regarde ces roses jetées sur le bois vernis, je saisie la mienne, essuie une larme et comme je l’aurais fait sur sa joue : je dépose un dernier baiser en guise d’au-revoir à la plus belle des roses : Françoise.

Sophie DEGOIS (2005)

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